Du « transsexualisme » aux devenirs trans (2008-2012)

À la rencontre entre une histoire du « transsexualisme » et une histoire des mouvements Trans, cette thèse propose d’analyser le passage d’un « transsexualisme fort » à une multiplication progressive d’expressivités de genres alternatifs et dépathologisés.

Le « transsexualisme » est une construction nosographique récente dont la définition prend forme après la Seconde Guerre mondiale (Benjamin, 1953). Dans une association entre médecins, juristes et chirurgiens, le « transsexualisme » devient vite un programme thérapeutique qui transforme des hommes et des femmes dans le sexe opposé. Le script du « transsexualisme » est alors établi par des professionnels qui, s’ils ne se mettent pas d’accord sur l’étiologie du « problème », s’accordent sur la nécessité d’une opération. Pour le dire autrement, avec le « transsexualisme », le scalpel devient thérapeutique. Rappelons toutefois que le « transsexualisme », tel qu’il est défini par la psychiatrie, est une parenthèse dans l’histoire des identités de genre alternatives. En effet, si elles ont toujours existé, elles n’ont pas toujours été psychiatrisées. Voyant les progrès de la médecine et le développement de l’endocrinologie, les Trans ont demandé de la chirurgie. Mais c’est une réponse psychiatrique qui leur a été formulée. Le « transsexualisme » fut ainsi co-construit : par les médecins qui voyaient en lui une solution technique à un problème psychiatrique, et par les personnes concernées qui, en étant étiquetées « transsexuelles », pouvaient bénéficier d’une prise en charge.

Cependant, au début des années 1970, au moment même où s’établissent en France les premiers protocoles de changement de sexe, l’architecture du « transsexualisme » commence à s’effriter. En raison d’instabilités internes aux nomenclatures psychiatriques, de l’action d’associations Trans puissantes qui vivent le « transsexualisme » comme une stigmatisation et d’une arène juridique opposant au « transsexualisme » totalisant, un « droit des personnes » libéral ; le « transsexualisme » se modifie. C’est-à-dire que les trois espaces de construction du « programme transsexuel » deviennent soudain ses trois principaux espaces de déconstruction. L’élément le plus décisif étant à n’en point douter l’action des Trans eux-mêmes qui, acculés à s’organiser, ont fini par développer des « réseaux » de soins et d’informations qui mettent en crise et en concurrence les offres locales et internationales dans un « marché » des réputations, des tribunaux comme des chirurgiens, imposant au « transsexualisme » historique des éléments de comparaison déstabilisants eu égard au programme « transsexuel » national.

Vidé d’histoire et de subjectivité par les classifications psychiatriques et les lois qui s’en inspiraient, le « transsexualisme », souvent présenté comme l’évidence d’une « personne dans un mauvais corps », se déploie aujourd’hui en une diversité de parcours et de singularités Trans, sociales et corporelles, irréductibles à la maladie et à la binarité. Avec des associations comme l’ASB (Association du Syndrôme de Benjamin) puis le GAT (Groupe Activiste Trans) dans les années 2000, le « transsexualisme » n’est plus transposable à l’ensemble des expressions de genre vécues. Les Trans se désolidarisent de lui. Ils deviennent non seulement experts de leurs cas, mais aussi de leur cause. Passant du statut de « patients » à celui de « minorité active », les Trans initient un mouvement culturel qui prend appui sur de nombreux mouvements dans la culture (mouvements féministes, homosexuels, queer…). Ce faisant, alors que le « transsexualisme » explose en devenirs Trans tout aussi variés que les devenirs non-Trans, ce sont les devenirs dits « cisgenres » (non-trans), qui se voient eux aussi questionnés par la multiplication des corps et des identités de genres contemporaines. Au-delà de l’inversion qui consisterait non plus à se demander « comment peut-on être Trans ? » mais « comment peut-on être transphobe ? », le mouvement Trans soulève une question plus générale : celle des « carrières » individuelles d’identifications de genre, que le « transsexualisme » a hiérarchisées en pathologisant les unes et en neutralisant les autres, et qu’il s’agit aujourd’hui de repenser, en soustrayant enfin les variances de genres des diagnostics.

 

Cette recherche est résumée dans la revue « Genre et Histoire » : ici

Sources

03. novembre 2013 par Clarinet
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